Indispensable empreinte
Il existe quelques sujets
pour lesquels la diffusion dimages évidemment choquantes à une heure de grande
écoute est nécessaire.
Tout du moins, je le pense.
Bien que la profusion dimages de toutes sortes,
réelles ou non, contextuelles ou non, utiles ou non, manipulatrices ou non,
soit monnaie courante aujourdhui, laffreuse réalité qui a envahi nos parents
et grands parents doit nous rappeler à lordre.
Jespère que lobjectif sera honnête et non
perverti par un audimat douteux mais la question est presque superflue tant je
men contrefiche.
Il ne restera alors que des documentaires, des
films noir et blancs, des interviews, des livres, des photos et les camps
eux-mêmes.
Lorsque les hommes et les femmes ne seront plus, ce
sera aux suivants, à nous, de faire comprendre à ceux qui nous suivent encore que
cela a vraiment existé, que ce nest pas du cinéma macabre à but sensationnel.
Cest une mission dintérêt humanitaire.
Il ne faudra pas oublier quil ny a pas quun seul
type de victimes, que les génocides persistent au travers le Monde et que si
lanniversaire de fermeture des camps nous concerne beaucoup plus quune autre
méthode dextermination, cest à cause de cette culpabilité latente, de cette
proximité géographique, historique et peut-être familiale, de la délicatesse du
sujet
Il faudra se battre contre le temps.
Tout sest inversé puisque jusque là, le temps
était le sauveur, celui qui permettait aux anciens doublier, de se détacher de
ces expériences traumatisantes.
Ce temps là était inefficace sur ceux qui
préféraient se morfondre malheureusement dans un silence salvateur, ce genre de
silence qui fait espérer quun souvenir ne resurgira pas au détour dun soir
qui tombe ou dune photo jaunie.
Pour nous, ce temps est pervers car on se détache
de lhorreur, on laccepte devant un poste de télévision, on déglutit plusieurs
fois, on garde la pose devant le défilement de ce qua immortalisé une caméra
hasardeuse.
Alors il est indispensable de continuer, année
après année, à nous balancer froidement tout cela. Sans aucune concession que
de le faire avec intelligence, avec une retenue sobre mais franche.
Jai des difficultés à accepter que quelquun de ma
génération refuse de regarder un reportage sous un prétexte de je sais bien
ou cest insupportable.
Par exemple, au collège, les visites des camps
devraient être obligatoires pour marquer les esprits. Ce nest pas trop tôt car
cest à ce moment là que restera gravé ce que les yeux denfants
photographieront.
Au début des années 80, javais à peine 10 ans.
De passage dans les Vosges pour voir mon oncle et
profiter dune semaine de vacances, mes parents visitèrent le camp de
concentration de Struthof.
A
Que me reste t-il aujourdhui, plus de vingt ans
après, de ce parcours étrange sous un soleil printanier.
Jen ai discuté avec mes parents il y a peu et ils
se sont étonnés que je men souvienne aussi bien, aussi nettement, que certains
détails soient aussi clairs car je nétais quun petit bonhomme quon emmenait
comme pour visiter un monument parisien touristique.
Je me rappelle avoir eu certaines recommandations
avant dentrer. Mais que pouvais-je comprendre si jeune de ces mots si détachés
de mon quotidien enfantin, simple et naïf. Il fallait garder le silence,
cétait dailleurs inscrit. Mais lendroit ne prêtait pas au jeu et aux
courses. Ni aux paroles trop hautes.
Je ne regrette surtout pas cette visite, je ne
regrette pas les cauchemars qui mont pourtant poursuivis quelques temps, je ne
regrette pas ce que mon cerveau a gravé au fer rouge car tout cela nest rien
et plutôt le seul mal pour un bien.
Jétais sans nul doute sage et particulièrement
attentif. On ne peut lêtre différemment car latmosphère qui transpire de ce
lieu était étouffante.
Pourtant, lévocation de cette énorme fosse
recouverte de gazon vert ne me permettait pas dimaginer plus.
A 10 ans, devant cette rangée de fours béants, je
comprenais mais nimaginais pas lampleur.
Bâtiments vides, propres, comment imaginer le
nombre effroyable.
Ces pièces dont les aérations pouvaient être
colmatées et cette petite fenêtre ronde sur les portes, pour regarder comme
avant.
Cette odeur indéfinissable et persistante.
Ces tables, ces outils, cet espace extérieur si
verdoyant désormais.
Et il y avait cette pièce, comme une galerie aux
horreurs. Ce tas de chevelures aux nombreuses teintes. Ces exemplaires dabats
jour confectionnés en peau humaine, ces autres choses qui veulent rester cacher
dans ma tête.
Et ce cauchemar parce que je revoyais sans cesse
cette photo de ce monsieur dont le corps avait été lacéré.
On y faisait des expériences
« médicales » sur le corps humain, de
La force dencrage inconscient du souvenir est
indispensable pour que nous ne soyons plus acteurs ou spectateurs de ce que le
genre humain fait de pire. Quel que soit le pays, les races incriminées ou les
peuples.