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Le Bar Nabé
25 janvier 2005

Indispensable empreinte

Camp Struthof (FRANCE)

Il existe quelques sujets pour lesquels la diffusion d’images évidemment choquantes à une heure de grande écoute est nécessaire.
Tout du moins, je le pense.
Bien que la profusion d’images de toutes sortes, réelles ou non, contextuelles ou non, utiles ou non, manipulatrices ou non, soit monnaie courante aujourd’hui, l’affreuse réalité qui a envahi nos parents et grands parents doit nous rappeler à l’ordre.
J’espère que l’objectif sera honnête et non perverti par un audimat douteux mais la question est presque superflue tant je m’en contrefiche.

Les générations qui ont réellement connu les camps commencent à disparaître et avec eux ces témoignages terribles, impensables.
Il ne restera alors que des documentaires, des films noir et blancs, des interviews, des livres, des photos et les camps eux-mêmes.
Lorsque les hommes et les femmes ne seront plus, ce sera aux suivants, à nous, de faire comprendre à ceux qui nous suivent encore que cela a vraiment existé, que ce n’est pas du cinéma macabre à but sensationnel.
C’est une mission d’intérêt humanitaire.

Il ne faudra pas oublier qu’il n’y a pas qu’un seul type de victimes, que les génocides persistent au travers le Monde et que si l’anniversaire de fermeture des camps nous concerne beaucoup plus qu’une autre méthode d’extermination, c’est à cause de cette culpabilité latente, de cette proximité géographique, historique et peut-être familiale, de la délicatesse du sujet…

Il faudra se battre contre le temps.

Tout s’est inversé puisque jusque là, le temps était le sauveur, celui qui permettait aux anciens d’oublier, de se détacher de ces expériences traumatisantes.
Ce temps là était inefficace sur ceux qui préféraient se morfondre malheureusement dans un silence salvateur, ce genre de silence qui fait espérer qu’un souvenir ne resurgira pas au détour d’un soir qui tombe ou d’une photo jaunie.

Pour nous, ce temps est pervers car on se détache de l’horreur, on l’accepte devant un poste de télévision, on déglutit plusieurs fois, on garde la pose devant le défilement de ce qu’a immortalisé une caméra hasardeuse.
Alors il est indispensable de continuer, année après année, à nous balancer froidement tout cela. Sans aucune concession que de le faire avec intelligence, avec une retenue sobre mais franche.
J’ai des difficultés à accepter que quelqu’un de ma génération refuse de regarder un reportage sous un prétexte de ‘je sais bien’ ou ‘c’est insupportable’.

L’équilibre doit se trouver grâce à une intelligence commune entre le trop et le pas assez de témoignages.

Par exemple, au collège, les visites des camps devraient être obligatoires pour marquer les esprits. Ce n’est pas trop tôt car c’est à ce moment là que restera gravé ce que les yeux d’enfants photographieront.

 


Au début des années 80, j’avais à peine 10 ans.
De passage dans les Vosges pour voir mon oncle et profiter d’une semaine de vacances, mes parents visitèrent le camp de concentration de Struthof.
A 50 km de Strasbourg, dans l’Alsace alors annexée, ce camp a pris vie pour la Mort en 1941.
Que me reste t-il aujourd’hui, plus de vingt ans après, de ce parcours étrange sous un soleil printanier.

J’ai les images dans la tête, j’ai des souvenirs qui me reviennent sans peine dès que j’y repense.
J’en ai discuté avec mes parents il y a peu et ils se sont étonnés que je m’en souvienne aussi bien, aussi nettement, que certains détails soient aussi clairs car je n’étais qu’un petit bonhomme qu’on emmenait comme pour visiter un monument parisien touristique.
Je me rappelle avoir eu certaines recommandations avant d’entrer. Mais que pouvais-je comprendre si jeune de ces mots si détachés de mon quotidien enfantin, simple et naïf. Il fallait garder le silence, c’était d’ailleurs inscrit. Mais l’endroit ne prêtait pas au jeu et aux courses. Ni aux paroles trop hautes.

Je ne regrette surtout pas cette visite, je ne regrette pas les cauchemars qui m’ont pourtant poursuivis quelques temps, je ne regrette pas ce que mon cerveau a gravé au fer rouge car tout cela n’est rien et plutôt le seul mal pour un bien.

J’étais sans nul doute sage et particulièrement attentif. On ne peut l’être différemment car l’atmosphère qui transpire de ce lieu était étouffante.
Pourtant, l’évocation de cette énorme fosse recouverte de gazon vert ne me permettait pas d’imaginer plus.
A 10 ans, devant cette rangée de fours béants, je comprenais mais n’imaginais pas l’ampleur.
Bâtiments vides, propres, comment imaginer le nombre effroyable.
Ces pièces dont les aérations pouvaient être colmatées et cette petite fenêtre ronde sur les portes, pour regarder comme … avant.
Cette odeur indéfinissable et persistante.
Ces tables, ces ‘outils’, cet espace extérieur si verdoyant désormais.
Et il y avait cette pièce, comme une galerie aux horreurs. Ce tas de chevelures aux nombreuses teintes. Ces exemplaires d’abats jour confectionnés en peau humaine, ces autres choses qui veulent rester cacher dans ma tête.
Et ce cauchemar parce que je revoyais sans cesse cette photo de ce monsieur dont le corps avait été lacéré.
On y faisait des expériences « médicales » sur le corps humain, de la vivisection. Des traces inhumaines ont été conservées.

Si le prix à payer pour les jeunes générations est de s’en souvenir aussi bien que moi, d’avoir passé des mauvaises nuits des semaines ou des mois, peu importe, ce n’est pas cher.
La force d’encrage inconscient du souvenir est indispensable pour que nous ne soyons plus acteurs ou spectateurs de ce que le genre humain fait de pire. Quel que soit le pays, les races incriminées ou les peuples.

Mais la leçon est toujours plus belle.


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Commentaires
K
J'ai également fait la visite du camp d'auschwitz (si on peut décemment appeler celà une visite, mais je ne trouve pas de mot approprié)lorsque j'étais au collège. <br /> De toute ma vie je n'ai jamais ressenti une telle atmosphère. A peine les portes franchies, je me suis mis à pleurer au souvenir des paroles de mes grands parents.<br /> Le devoir de mémoire doit être une obligation pour tous.
C
...C'est une periode qui est dans ma mémoire tres presente. Comme Samantdi je suis née en 61 et la guerre n'etait pas si loin. Ma région est fortement marquée par les horreurs de cette guerre puisque j'habite au pieds du Vercors martyrisé. La Résistance et ses héros inconnus pour la plupart, je ne crois pas que nul ne les a oublié ici, enfin je parle pour ceux de ma generation qui ecoutaient les récits de leurs grands-parents. On a d'ailleurs un musée de la Résistance couplé au musée de la chaussure, un jour que je le visitais je me suis trompée de couloirs et je suis "tombée" sur la partie "resistance et déportation". Je suis sortie en larmes. Comment "comprendre" que des êtres humains puissent se livrer à de telles horreurs...Un jour j'y emmenerais mes enfants parce qu'il faut transmettre le pire pour esperer le meilleur des jeunes generations.<br /> <br /> Cook'
K
Ces images nous rappellent que des hommes, comme nous, ont commis des atrocités sur d'autres hommes, comme nous. Et donc que la frontière est infime. Et que tout cela a existé. Et puis aussi que c'était hier, et que c'est encore aujourd'hui. Ce ne sont pas ces images qui font peur, c'est la nature humaine. Les explications sont essentielles pour comprendre, mais chacun se doit d'absorber ces images insupportables, pour se souvenir, tout au fond, avec ses forces et ses doutes, avec ce qui nous reste dedans et qui fait mal.
S
Merci pour ton témoignage et pour tes propos auxquels je souscris à 100%. J’ai eu une petite altercation dimanche avec des personnes avec qui je regardais des images d’archives sur les camps. Ces personnes, devant ces images, certes très éprouvantes, détournaient leur regard et étaient scandalisées que de telles images ne soient déconseillées qu’aux enfants de moins de 10 ans. C’est vrai que c’est choquant de voir cela, que ce soit à 10, 40 ou 70 ans, mais c’est à ce prix que les générations futures garderont cette sinistre période en mémoire et tâcheront de rester vigilants (Il n’est évidemment pas question de laisser un enfant devant de telles images sans explications).<br /> J’ai visité des camps de camps de concentration à l’âge de 10 ans et y suis revenue à plusieurs reprises. Bien sûr que j’ai fait des cauchemars et que ces images me hantent depuis (moi aussi je m’en souviens très précisément). Mais je ne le regrette pas, cela ne m’a pas empêché de mener une vie équilibrée, je suis juste particulièrement sensibilisée à certains sujets. Ma fille aînée a fait ce même voyage, ma plus jeune va le faire également, j’ai confiance dans la nouvelle génération pour transmettre le flambeau.<br /> Il existe une « fondation pour la mémoire de la déportation » (FMD) qui a pour but la transmission de la mémoire et qui constitue des archives, sur tous les supports possibles, afin d’assurer le relais après la disparition des derniers témoins directs. Elle organise également un concours national de la résistance et de la déportation afin de sensibiliser les collégiens et des lycéens sur ce sujet.<br /> Voilà, excuse-moi d’avoir été un peu longue pour ce premier commentaire mais c’est un sujet qui me tient à cœur, merci de m’avoir permis de m’exprimer.
B
Je te remercie de ton témoignage, qui réponds un peu au com que j'ai laissé chez Anne : Comment en parler aux enfants ? <br /> Je suis d'accord avec toi, il vaut mieux des images et des mots, même porteurs de cauchemards que la sécurité de l'ignorance.
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