Petite histoire à travers la grande
Le docu-fiction sur l’épisode de l’attentat du Petit Clamart
m’a fait appelé mon père pour quelques éclaircissements et un avis plus ‘vivant’
que celui du simple spectateur que j’étais.
L’indépendance de l’Algérie aura fait couler beaucoup d’encre
et de sang. L’affranchissement de la politique coloniale française dure pourtant
encore en attendant l’oubli ou une autre considération des évènements.
De Gaulle sera donc cet homme qui rassemble et partage, qui
divise aussi. De ce personnage appartenant complètement à l’Histoire, il y
aurait tant à dire, à se réjouir ou à critiquer.
D’une France défaite, il a été élevé au rang de symbole et est
principalement présenté comme le sauveur.
Sans souhaiter faire passer un quelconque message, je n’en ai
absolument pas la prétention, je vais vous conter une histoire
(Histoire ?) marquée d’avis propres. Ce ne sont les miens que par
procuration même si je me juge incapable d’être objectif.
1958, René Coty est président, De Gaulle est président du Conseil (équivalent à notre Premier Ministre actuel) sous le Régime de la IV ème République et charge Michel Debré de rédiger la nouvelle Constitution (V ème République).
Par référendum, la constitution est adoptée le 28 septembre. S’en suivent des élections et De gaulle est élu le 21 décembre à la majorité absolue (77.5 % des voix) pour la première fois en France.
Il est écrit dans les livres que le grand Charles a réussi à
mener à bien la décolonisation française (début des années 1960), qu’il instaure
ce système de coopération dont on entend résonner aujourd’hui encore les
conséquences (positives et négatives), qu’il mène l’Algérie aux accords d’Evian
en 1962 malgré les oppositions (militaires, français d’Algérie…).
Dans les oppositions les plus vindicatives, il y a bien sûr l’OAS
(Organisation de l’Armée Secrète) dirigé par le Général Salan qui organisera
des attentats en France et en Algérie contre les hommes politiques (dont De
Gaulle), contre les hommes publics qui prônent l’Algérie libre, ainsi que
contre la population par des actions aveugles ayant pour but d’installer la
terreur et de ramener plus d’hommes à sa cause.
Pour comprendre les raisons d’une telle haine envers ceux qui s’opposent
à l’Algérie française, il faut revenir à l’élection de 1958 lorsque le Général
De Gaulle construisait son programme électoral sur la conservation des colonies
et particulièrement de l’Algérie. De Gaulle savait que, sans défendre à mots
cachés le maintien d’une Algérie française, il n’aurait pas été élu. Peut-être
les première manipulations électorales de la V ème République.
Les français conservaient une chose que le président savait
déjà perdue.
Le pouvoir militaire français s’est construit à la sortie de la
seconde guerre mondiale et conserve alors nombres d’influences.
Avec l’épisode de l’Indochine en mémoire, l’armée et plusieurs
hauts gradés se sont sentis trahis lorsque De Gaulle a commencé le mouvement de
décolonisation.
Pendant que De Gaulle construisait politiquement le transfert
d’une colonie en pays autonome, il n’empêchait pas pour autant la guerre
d’Algérie de s’enliser et de faire partir les appelés au combat.
Les pieds-noirs, face à cette situation, réagissaient aussi
négativement et naturellement aux modifications politiques qui s’amorçaient et
qui entraîneraient pour eux, soit le départ, soit la ‘soumission’ au droit de
parole des algériens dans leurs pays, chose impensable alors.
1961, putsch avorté en Algérie, prise de contrôle ratée par les
militaires, le Général Salan entre dans la clandestinité et crée donc l’OAS
avec son lot d’attentats.
Avril 1962, Alger, Salan est arrêté.
Il sera gracié quelques années plus tard avec tous les autres
intervenants de la sombre période (sauf l’organisateur du Petit Clamart).
Georges Bidault, ancien professeur d’Histoire, qui avait
succédé à Jean moulin à la tête du Conseil National de la Résistance
(gouvernement provisoire de la République) à la fin de la guerre 39-45, reprend
le flambeau de l’OAS et souhaite, par analogie, en faire un Conseil de la Résistance Bis.
Résistance contre De Gaulle et la
décolonisation. Il veut donner alors au mouvement armé une
légitimité par une existence politique. Il y a encore des actes meurtriers car, de l’ancien OAS,
persistent des éléments incontrôlables.
Georges Bidault est montré comme réactionnaire et considérant
la colonisation comme légitime : la France a apporté et apporte tellement
aux pays colonisés qu’en retour, il est normal de …
Mon grand-père paternel connaissait Bidault depuis l’entre deux
guerres.
Pépé était journaliste à « L’Aube », journal
démocrate chrétien. Bidault était l’éditorialiste.
(Le journal se saborde en 1940 pour ne pas laisser l’occupant
profiter des outils de presse.
Il reprend en 1944 jusque dans le début des années 50).
En 1936, à la demande de Pépé, Bidault devient le parrain de
Marie-Claire, sa fille, la sœur unique de mon père, ma marraine.
D’autres collègues, amis de Pépé deviennent les parrains des
autres enfants.
Pendant la guerre 39-45, il y eu la Résistance, les réunions
secrètes, l’organisation d’une d’entre elles dans ma ville de naissance et sur
le mur d’une maison, une plaque commémorative mêlent le nom de pépé et celui de
Jean Moulin.
Mais rien ne transpirait, rien ne fut expliqué, raconté.
Ces histoires replongeaient avec leurs discrétions et leur
pudeur dès les armes abaissées.
Mon grand-père ne dit rien. Ses enfants ne savent rien ou
presque.
Le temps a passé.
Mon père est parti faire cette guerre d’Algérie (1954-1962)
comme trop de bidasses avant et après lui.
Comme avec tous les sujets qui pouvaient entraîner une
discussion et des désaccords, Pépé répondait à ses
enfants : « Non, pas la peine de continuer, vous ne connaissez
pas tous les éléments. »
Et le dialogue cessait immédiatement, renforcé par l’autorité
naturelle du patriarche.
Mon père n’a donc jamais trop connu les avis de mon grand-père.
Cependant, Pépé soutenait oralement Bidault mais rien dans les
faits ne l’avait fait intervenir depuis bien longtemps.
J’imagine donc qu’il jugeait aussi, comme une majorité de
français que l’Algérie française était un statut logique.
Il y a la forme, il y a le fond. Tout se défend avec honnêteté
et morale.
Tout est différent et parait normal selon le point de vue,
l’angle de visée.
Individuellement, je ne peux juger tant que je ne pourrai être
sûr d’un choix. Du mien.
Impossible.
Je peux comprendre que la guerre d’Algérie soit une nouvelle
fois l’expression de la bêtise humaine dans les yeux de mon père comme je peux accepter
certaines impressions d’un aïeul dont j’ai un profond respect.
Je ne peux m’empêcher de penser à mon grand-père, à sa détermination
il y a plus de 60 ans, un courage fou.
J’aurai aimer discuter de cela avec lui comme j’essaye de le
faire avec mon père dès que l’occasion se présente.
Il parait qu’il était plus abordable lorsqu’on était petit
enfant que simple fils. Il me tenait sur ses genoux dans son bureau aux murs
recouverts de bibliothèques à double épaisseur.
Mon père aurait du me souffler des questions pour son père, je
les aurai posées en toute innocence enfantine et aurais répéter les réponses
tant attendues.
Peut-être que Pépé aurait trouvé cela bizarre qu’un enfant de
dix ans s’attarde sur la guerre ou la politique.
C’est sûr.
Je lui aurais souri, il aurait compris depuis longtemps et je
suis persuadé qu’il m’aurait raconté des tas d’histoires, des aventures, des
complots, des batailles…
La Résistance ou la collaboration, l’Algérie française ou non,
la colonisation ou la coopération tronquée, l’Europe de la Constitution ou non,
les choix se font et se défont. Âmes et consciences.
Nous décidons un jour. Nous nous trompons le lendemain.
L’Histoire avance et force son chemin à travers les hommes.