Elle dansait dans mon souvenir
D’un pas hésitant, elle a traversé l’estrade. Le piano jouait
le rythme et elle connaissait la trajectoire.
Derrière elle, d’autres silhouettes colorées suivaient, aussi
en se regardant d’un œil furtif, à gauche, à droite.
Elles ne devraient pas mais elles s’observaient plus que
nécessaire, juste assez pour confirmer la confiance que la dame sur le côté de
la scène avait placé en elles.
Pendant un moment de repos entre deux séquences, l’une se
gratte le nez, l’autre se recoiffe.
Le mouvement reprend, celle-ci remonte sa jupe trop large. J’en
entends une qui toussote à travers les gammes.
Les gestes sont saccadés, souvent décalés. Malgré tout, je
ressens une certaine fluidité, la souplesse facile et la grâce naturelle que
peuvent avoir ces jeunes filles.
Aucune n’a le même physique que la suivante, petite, grande,
moyenne, plus en formes, très fine mais elles ont la volonté de bien faire
comme l’aboutissement d’heures de travaux non forcés remplis d’efforts et de
rires.
L’une sourit à tout moment, de toutes ses dents. Le maquillage à
paillettes luit sur ses joues. Sa voisine rougit facilement et rehausse son justaucorps
mauve.
Elles usent des pointes avec mon admiration.
Il y a de l’agitation tout autour des autres tours de pistes. Les
rangées de sièges sont occupées de petits corps et de l’adrénaline qui s’agite
en attendant leur passage.
Ça pouffe, ça chuchote, ça rigole, ça se regarde, ça se
questionne. Elles se vérifient les unes et les autres pour la présentation.
Les tenues sont simples. Le troisième scénario est un véritable
tour de cartes animées avec des cœur, pique et trèfle qui virevoltent sur les
planches.
Certaines ont quoi, sept ans, huit ans ; d’autres sont
dans la belle adolescence. Elles ont retenu leurs cours.
C’était la répétition du spectacle de danse de ma filleule.
Je l’ai vu, du haut de ses dix ans (onze déjà peut-être, oui, onze) maquillée pour aller à son premier bal. Les yeux dessinés faisaient ressortir ses belles billes bleues qui doivent craquer les garçons.
Elle est gracieuse et mime le mouvement des vagues.
Je lui ai dit qu’elle était très bien, très jolie aussi. Elle m’a
fait une grosse bise sans penser à son fond de teint (il parait que ce
maquillage en crème plutôt qu’en poudre tient mieux).
J’éprouvais une grande fierté avec un fond de songe, l’idée que
peut-être, bientôt, je regardais l’un des miens se représenter.
Le fiston, lui, s’agitait depuis un petit moment sur son siège, occupé à jouer avec la feuille de platane que le vent avait détaché de son printemps. Il était temps d’y aller.