Kronique N°46 – Mur raillé
Le maillot est toujours froissé sur le canapé. Il a le n°6 de 1998.
Le n°6, c’était Djorkaeff mais je pensais avant la compétition que ce serait Deschamps. J’ai toujours été admiratif de Didier et de son travail de l’ombre. Il est sans doute le plus grand bâtisseur de la victoire.
Cette année, si j’avais acheté le nouveau maillot, j’aurais
pris le n°15, Thuram.
Pour les raisons expliquées précédemment, ses adieux aux larmes
sont difficiles à supporter. Il a cumulé ce plaisir de gosse à cette volonté
d’homme pour tout donner sur un rectangle vert.
Je n’aurai jamais pu porter un n°10 dans le dos. Ni Platini, ni
Zidane. Bien sûr, ils représentent la technique, le beau jeu, l’art du ballon,
ils sont mis en avant, ils créent. Mais derrière eux, ce sont toujours des
Vieira, Makélélé et Thuram, Trésor, Bossis, Batiston, Tigana qui font ce qu’ils
deviennent.
Le Real Madrid n’a plus rien gagné depuis que le club n’a pas
su retenir Maké, et cela malgré Zidane et les autres stars.
Zidane a été élu meilleur joueur du Mondial, sorte de titre
posthume en quelque sorte. Remarquons qu’il n’y avait pas vraiment d’autres
joueurs aussi essentiels en sept matchs. Peut-être quand même Thuram. Mais les
défenseurs ne sont jamais gagnants aux concours du beau jeu, ni au Ballon d’Or ou
récompense de la Fifa.
Au football, on retient toujours le dernier buteur ou le
meilleur, celui qui marque le penalty, jamais un autre. On le félicite mais pas
suffisamment pour reconnaître la qualité intrinsèque de son jeu.
On se moque d’un tir de défenseur mais rarement d’un tacle d’un
attaquant.
Savez vous que le tacle est un geste technique pas si évident à effectuer sans emporter un bout d’os ou un courant d’air ?
Lors de la finale, Thuram a réalisé un geste énorme sur Toni en
pleine surface de réparation, un tacle venu de loin qui stoppe l’action de but
au dernier moment. Si l’attaquant rate sa frappe, la sanction est :
attendons la prochaine pour voir s’il met le but. Si le défenseur rate son
intervention, la faute qui l’incombe est évidente, un penalty ou un but tout
simplement.
Le défenseur est souvent sanctionné, rarement récompensé.
L’avantage, selon l’arbitrage doit toujours aller à l’attaquant.
Nous n’insistons jamais assez sur les qualités tactiques, de
coordination qu’il faut pour mettre en place le hors-jeu, la couverture
alternée en défense.
Un dribble est toujours plus télévisuel.
Sur un terrain de football, j’ai souvent eu le rôle de milieu
défensif ou de stoppeur, voire libéro. C’est peut-être ainsi qu’il faut placer
les humains qui ne sont pas dotés de la technique de Zidane.
Thuram avait un rêve fou, un jouet de gosse. On lui a reprit, ou on lui a cassé.
En 1991, lorsque Basile Boli pleurait de sa finale de Ligue des
Champions perdue aux tirs au but contre les yougoslaves aussi attentistes que
des italiens, il y avait toute la rage d’un joueur qui donnait aussi tout. Et
pourtant, Basile n’était pas un enfant de cœur.
Thuram a pourtant déjà tout gagné dans sa carrière. Il a été au
sommet du Monde, de L’Europe, pour son pays et pour ses clubs. C’était son
dernier défi avec les autres vieux, avec Maké et Zidane.
Si demain, j’avais la possibilité de rencontrer une seule personne, juste pour causer, entre enfants presqu’adultes, avec douze petits mois d’écart, j’aimerais que ce soit Lilian.
Lilian, si tu me lis...