Oléron dans l'eau (4)
La fraîcheur du soir prend possession des lieux. Les soirées auront été finalement si différentes. Je serai peut-être trop vieux dans dix ans pour faire comme mon gamin qui n’en sera plus un et aller me promener pour goûter l’air du temps (sans doute pas trop vieux quand même).
Nous n’aurons peut-être plus l’occasion d’être là dans dix ans
pour plein d’autres raisons qu’un seul pèlerinage. Rendez-vous au tas de sable,
ou presque.
Des plus sages à échanger les cartes de tours de belotte avec
les parents aux sorties tardives contrôlées.
Ceux qui connaissent la belotte imagineront la difficulté de
perdre une partie complète à 1000 points sans remporter un seul pli. Nous
étions là, moi l’air amer de celui qui perd mal, mon poteau l’air désabusé et
rieur et mes parents hilares tout court d’une modestie de la victoire
totalement absente. Mille points et plus, sans un pli, quatre capos de suite,
le genre de probabilités de jeu improbables justement. Ça marque une soirée ce
genre de choses.
Il y a un retour de ballade sur la plage, des discussions à ne
plus finir, une tournée au village et se retrouver à minuit passé sur des
chaises de camping à regarder en l’air, compter les étoiles, se poser des
questions sur je ne sais plus trop quoi mais qui devait avoir un rapport avec
la vie, ou les filles.
Un poil plus âgés, la dernière année sans doute, nous avions
les autorisations pour le bal de Chaucre du 14 juillet, une bière au pub soft
de Domino, rester longtemps sur la plage. Nous n’avions jamais le temps de tout
partager tout en vivant vingt-quatre heures de front. Privilèges des instants
décalés.
Un poil plus jeunes, comptons la majorité comme limite, je ne
sais plus, des matchs de tap-tap se succédaient au coucher du soleil. Il y
avait ce terrain de beach-volley libre face à cette énorme façade blanche. Je
pensais que c’était une colonie de vacances. C’en est sans doute une
d’ailleurs.
Cette année, le bâtiment n’avait plus autant de fenêtres que
dans mes souvenirs et n’était plus aussi animé, mes yeux n’ont plus le pouvoir
d’agrandir tous les paysages.
Je me mélange dans ces années qui auront été les dernières
avant le saut dans l’indépendance des congés, des destinations, des menus, des
horaires, des emplois du temps. Après Oléron, je travaillais au moins un mois
pour m’offrir le mois suivant, après Oléron, nous étions une troupe prête à
envahir les calanques du sud, l’Espagne et d’autres côtes.
Mais, pendant Oléron, je ne me souviens pas m’être plaint de
cet autre rythme.
Nous avions la liberté de musique avec nos walkmans et ce
lecteur radiocassettes qui ne capte plus grand-chose aujourd’hui. Ces soirs là,
après tarot ou belotte, nous sortions nos K7 préparées pendant plusieurs
semaines avant de partir dans ce simple objectif. Volume réglé judicieusement,
passaient Scorpions, Metallica, Bénatar, des mixs artisanaux de solos de
guitares, quelques best of des variétoches des années 80 qui seront devenus
cultes vingt ans après, comme si la génération des trentenaires de 2006 avait
plus d’importance dans le paysage socio-culturel actuel. Je diffusais Goldman
en tentant de persuader mon poteau que ses vrais bons titres n’étaient pas ceux
qui serinaient les ondes. J’ai récupéré cette année seulement les deux premiers
albums de Sandra en cd. Je suis bien dépourvu sans platine 33tours aujourd’hui
et mes disques d’alors.
Et au travers de la musique, nous devisions sur tout.