Jus d'orange
Il arrive toujours des trucs étranges.
La première compétition de judo
approchait.
Je lui demandais s’il savait ce que c’était.
Il disait que non. Je lui expliquais qu’il s’agissait d’une suite de combats qu’il
fallait gagner pour remporter une coupe ou une médaille.
Qu’il fallait faire au mieux, que le
gars d’en face, il fallait le faire tomber et l’empêcher de se relever.
On a eu beau avoir des potes ceinture
noire, le judo, ça reste un sport de gars en peignoirs.
Ça ne m’a pas empêché d’essuyer une
larme quand Douillet a gagné sa dernière médaille d’Or.
C’est beau le judo. Ça manque de
pelouse, de ballon et de crampons mais c’est beau.
C’est ainsi que j’assistais à ma
première compétition de judo, et c’était petit bonhomme qui s’y collait.
Bon, il parait que le judo structure,
apprend un petit peu la discipline et le calme. Enfin, c’est lui qui a choisi.
Après la pesée (on a vite enlevé les
chaussures, le pull) : 20,4
kg sur la balance. A 400g près, il était dans la
catégorie du dessous. Nos amis
accompagnateurs pour l’occasion nous racontaient les plus et les moins des
compétitions de leur petit à eux qui s’était fait ramasser la première fois
avant de vendre chèrement sa peau dans sa deuxième pour décrocher l’Or.
Je sentais une sorte de concours
caché avec eux : vous avez vu hein, celui qu’on appelait gnan-gnan, et
ben, un vrai lion sur le tatami maintenant.
Mouais.
Je restais humble pendant le vrai
échauffement des petits. L’ambiance de la salle de sport champêtre était agréable.
On m’expliquait le déroulement qui suivrait, les tris en poules (ça tombe bien
après les œufs du matin… hum, bref), les combats et les médailles pour tout le
monde.
Effectivement, petit bonhomme se
retrouva dans un groupe de trois, il aurait au pire une médaille de bronze, c’est
un début.
Vint le premier combat. Le petit gars
d’en face ne payait pas de mine, je filmais le mien en l’encourageant. Il se
défendait bien, attentionné aux attaques en balayage incessantes mais ne
voulait pas forcément attaquer. La minute trente s’écoulait et tout était
serré, les deux pouvaient tomber.
Ce fut le mien qui perdit d’une sorte
de waza-ari ou peut-être un koka, sans doute involontaire et décaféiné.
Il restait avec les autres, l’air
totalement dispersé par rapport à ce qui se passait autour de lui, les petites
filles qui gloussaient en se faisant tomber, tout en cherchant le regard des
parents, les moyens qui prenaient très au sérieux la compétition, les autres
parents qui encourageaient, qui applaudissaient, son futur adversaire qui
écrabouillaient son vainqueur.
Il était brun avec une expression
monotone qu’on ne rencontrait que sur des rings de boxes. Rien qu’à le
regarder, cela faisait peur. Il avait une ceinture jaune. Avec ma dame, on
espérait que le massacre ne soit pas trop dur. Nous avions vu comment il avait écartelé
le précédent. A peine l’arbitre lançait le combat qu’il balayait à tour de
jambes avec un mouvement vif qui basculait l’autre par terre.
Dans le même temps, le notre était
allongé sur le ventre, les yeux ailleurs, se disant sans doute que le temps ne
passait pas vite.
Ce fut enfin l’heure de petit
bonhomme et du brun ténébreux inquiétant.
Effectivement, même technique rapide,
le notre se retrouvait par terre, une fois puis deux mais en contrôlant sa chute
pour ne pas poser les épaules au sol.
La troisième reprise fut la bonne.
L’autre avait la technique qui le
ferait gagner 9 fois sur dix contre le mien. Sans contestation.
Il bascula sur un contre que je ne
compris vraiment qu’en regardant plusieurs le film le soir. En dix secondes, personne
n’avait suivi, encore moins les intéressés, un bras fut levé, ils se saluèrent
avant de sortir et les juges affichèrent le 1 au niveau du ippon.
Ippon, c’est indiscutable, synonyme de
victoire.
Vinrent la remise des médailles.
Encore surpris, je l’attrapai à la caméra tandis
qu’il sautait sur la première marche. Ippon, en plus, ça compte beaucoup plus
de points que les autres mouvements. C’est pour cela que le brun à la ceinture jaune
fut second et son vainqueur du premier combat, troisième.
Médaille d’Or, rendez-vous compte.
Et lui qui commença à pérorer quand
il percuta vraiment, avec la rondelle jaune autour du cou.
Le genre de truc étrange je vous dis.
Et je ne vous parle pas de la fierté du papa. Ce qui est gagné n'est plus à perdre.