Présence
C’est arrivé deux fois en quelques semaines, deux
fois où nous (ou je tout seul aussi) étions sans les enfants.
C’est une sensation curieuse, cette absence d’agitation
dans la maison, ces pièces vides où l’on ne va plus, ce silence, ce temps
octroyé, bizarre, presque trop de temps soudainement.
Tout seul, pendant quelques jours, le début est
plaisant, une sorte de pause prise et bienvenue, pas nécessaire mais appréciée.
C’était simple, des repas rapides, un rythme choisi,
aucune contrainte particulière.
Les heures défilaient quelquefois rapidement,
quelquefois lentement, avec cette impression marquée d’une drôle d’inutilité.
Tout au fond de ses pensées, latentes, il y a ces
questions, si tout se passe bien là-bas, que font-ils. Il y a ces perturbations
des habitudes, ces moments où tous les jours ou toutes les semaines, à ces
heures là, nous faisions certaines choses.
Evident, il y a ce manque, de les voir, de les
savoir à dix mètres, de les entendre, d’un bisou d’elle, d’une chamaillerie de
lui.
Ça a toujours été, depuis le début, parce qu’au
bout du compte, il y a eu peu de séparations de quelques jours.
De ce temps d’avant, sans enfants, il est désormais
imaginable comme un autre monde, un monde ayant existé, que l’on ne peut plus
visiter, tout juste peut-on revoir des photos. Ces clichés s’éloignent de plus
en plus, ce qui était un réel repère avant n’est plus même revu depuis des lustres.
Depuis bientôt sept années, l’incohérence de ma vie
d’avant s’intensifie. Je ne sais même plus comment je vivais avec Elle sans
eux. Alors, avant Elle, tentons parfois d’y reposer un œil. Juste.
Alors, ces quelques fois où je suis seul, suffisamment
longtemps pour le ressentir, ce serait presque une sorte de culpabilité de
profiter égoïstement, et en fait de ne pas profiter ce temps avec eux.
Tout s’accélère.
Je les entends par de là le téléphone, des paroles.
Je sais qu’ils n’auront pas grandi de trente centimètres en une semaine, je
sais qu’ils n’auront pas changé tant que ça, mais il y aura de nouvelles
expressions, des souvenirs qui me paraitront étrangers, des références qui me
manqueront et d’autres détails qui n’en sont pas.
Au retour, les savoir à proximité est un
soulagement, comme si je pouvais de nouveau maîtriser ce qu’ils deviennent,
faussement maîtriser.
Ne plus rien rater d’eux, avoir cette impression,
suffisante que je suis là.
Et cinq minutes plus tard, ils se taperont dessus,
feront plus de bruits qu’on en les croirait capables, et je penserai à ce
silence, étrange. Je me dirai que de temps en temps, cette séparation n’est pas
si difficile.
Et ils repartiront, peut-être l’année suivante, et
je m’inquiéterai à l’avance, préférant cette présence indispensable.
Ce que j’aurais aperçu un jour, accidentellement, m’a
sauté aux yeux d’une telle évidence à leurs retours.
Peut-être un peu de soleil supplémentaire de
là-bas, je ne sais.
Ça se déroule sur leurs nez et leurs pommettes, des
toutes petites tâches de rousseur, adorables.
Et je repense à un visage de petit garçon du même âge
qui les avait, voilà une trentaine d’années.
Ces petites tâches de rousseur qui réapparaissent sur
mon visage aujourd’hui à la fin des vacances d’été arrosée de soleil.