Reste, attends
Je crois que mon père réagirait avec
retenue comme il sait si bien le faire. Je pense que ma mère accuserait le coup
en différé. Et ma femme, je ne sais pas bien.
Et moi alors ?
Ils me pousseraient donc à prendre cette
graine de chance d’un traitement éventuel et je ne sais pas si je tenterais de
l’attraper. C’est sans doute la seule question qui conditionnera la suite du
récit.
Ou alors profiter. Allez savoir
comment nous serions capable de réagir, il s’agit de ces portes fermées qu’on
ouvre peut-être jamais, par choix ou par opportunité de la vie.
Enfin, prendre le tout comme une possibilité
qui ne nous est pas forcément offerte à la fin, un cadeau, étrange, cynique
mais déterminant.
Là aussi, mes enfants changent tout,
la dimension de l’évènement, ses conséquences aussi.
C’est ce film. ‘Le temps qui reste’ d’Ozon, qui pose l’interrogation sur l’usage du
temps qui reste.
Je ne comprends pas trop la raison
qui m’aura fait chialer pendant la moitié du film. Je ne peux faire de
parallèle entre sa vie à lui qui reste, inéluctablement, et la mienne, sans
limite re-connue. Sans doute l’âge, la trentaine proche, et tout le temps qu’il
devrait justement rester.
Lui et son cancer généralisé, ces choses qui arrivent, et son mois qui
reste, son moi qui reste.
La répétition du temps qui reste.
La question ne se pose pas à la
trentaine, elle se posera peut-être dans quarante, soyons fou, cinquante ans,
soit bien plus que le chemin déjà parcouru. Et j’imagine bien qu’avec la
sagesse acquise, nous pouvons nous y préparer avec, pourquoi pas, ce sentiment
de plénitude d’un devoir simple et unique accompli.
Mais à trente ans, tout est encore à
faire ou presque, rien est prêt.
Lui n’en parlera qu’à sa grand-mère
parce qu’elle aussi, par la force des choses, va bientôt mourir. Il cachera ses
aveux pour ne pas se faire plaindre, parce que ça ne sert à rien mais cherchera
sa propre absolution en faisant la paix avec ses proches.
Il choisira de laisser une trace et
décidera de la fin.
Et s’il me restait ce putain de mois,
qu’est-ce que je pourrais bien faire ? Arriverais-je à accepter d’abord
?
J’ai toujours préféré la solitude
dans bien des moments de tristesse mais il s’agissait des autres alors. De ces choses qui n’arrivent qu’aux autres.
C’est bien humain d’avoir ce détachement pour survivre, choisir ses
attachements.
En fait, je n’y avais jamais pensé
car je considère le malheur des autres bien plus difficile à supporter que le
sien.
Drôle de philosophie qui changerait
peut-être d’étrier en situation réelle.
Allons donc savoir. Parce que vous
devez bien être comme moi non ?
Il faudra que j’accepte de ne pas voir les enfants grandir, de ne pas finir ce qui a commencé un après-midi de mai pour le meilleur, de ne pas accompagner mes parents, de ne pas savoir si Marseille gagnera une autre Coupe d’Europe, de ne pas connaître les résultats des futurs championnats, de ne pas lire ces auteurs que j’apprécie, de rater ces autres albums d’artistes qui m’auront accompagné depuis deux bonnes dizaines d’années au moins, de ne pas découvrir ce que mon espèce fera dans ce vingt-et-unième siècle, de ne pas savoir si je finirais ma vie professionnelle avec ce boulot fait d’hasard, enfin, plein de choses dont on se fout mais qu’il faut ajouter à la liste pour lui donner toute cette consistance.
En fait la vraie valeur de ces choses
manquées se limite aux trois premières. Et c’est insupportable. Serait-ce
supportable sans autre choix que d’aller hurler dans la forêt ou parcourir le
Monde pour se remplir les yeux.
Que faisons nous qui ne soit vraiment
gratuit ? Sans l’attente de la suite ?
Même les séries TV me font attendre
la suite alors…
J’aime bien l’idée de la fin digne,
avec de la musique choisie dans les oreilles. A condition d’avoir le temps,
dans ce qui reste.
Et c’est peut-être là le luxe ultime
de pouvoir choisir.
Film triste ou non ?
Qui fait penser, certes. En vain.
Nous devons vraiment être protégés
contre ces idées là, psychologiquement verrouillés parce qu’on ne saura pas
comment même si nous découvrons quand.
Il ne sert à rien, sans doute, dans
ce temps qui reste, inconnu, de se faire le film dans sa tête.
A bientôt, bien à vous.