A l'air de rien
Il y a de ces chansons qui
invariablement nous ramènent quelque part.
Il suffit de s'y replonger par
accident pour voir d'où l'on vient et ce qui fait qu'en fait, on est là.
Il peut y avoir Même si de Lavoine qui m'envoie en 93 et
en Espagne parce qu'à travers des paroles presque non dites, un message passe
plus facilement avec la manière.
Veiller
tard de Goldman m'enferme dans cette petite pièce à côté de ma
chambre d'adolescent. Il n'était pas si tard que ça, à ce moment là, pour
veiller, mais il y avait de quoi.
Une vieille des Red Hot vole au
dessus de la plage de Lacanau parce qu'un été, un seul été.
Avec Tu ne me dois rien d'Eicher, j'ai enfin compris que des
chansons pouvaient venir au bon moment, enfin, juste un instant.
Une autre au bout d'une frustration
amusante. New Year's Day dans
un appartement à haut plafond et au vieux parquet. Mistral gagnant sur le tard parce que ma fille, Voilà, c'est fini d'Aubert parce ce que
c'était fini, Week-end à Rome
parce que je me le suis promis depuis longtemps.
Orly
parce qu'il y a rarement mieux. Enfin pire.
La découverte de The Wall et de Supertramp dans la même
chambre d'un pote.
Aretha Franklin pour traverser
le pont de l’île, un Message in a bottle
en passant par Grenoble.
Associations d’images et de sons,
propres films.
Et je reviens toujours à With or without you. Basse qui
accompagne la douce rythmique de la batterie, puis qui l’étouffe, Bono qui
démarre. Si l’on ferme les yeux, il y a toujours la basse, lancinante, essentielle,
énorme. Tout monte en puissance, doucement. La batterie reprend sa place, de
concert, Bono élève la voix, la guitare entre en scène par à-coups. Tout est
là, simplement.
A deux minutes et cinquante secondes de la version album, Bono pousse with
or without you, I can’t live with or without you. A trois minutes et
cinq secondes, cordes et peaux sont tendues, le volume augmente inéluctablement.
A trois minutes et une quarantaine de secondes, l’orage se calme, s’éloigne pour
laisser une traîne musicale parfaire à l’aube de la cinquième minute. Et là, j’aimerai
que tout continue.
Et je l’écoute en boucle.
Plus tard, je saurai que ce sera mon
père avec la chanson Rouge parce que
nous nous regarderons toujours d’un œil et d’un sourire complice en coin.
Et toutes ces paroles, infernales,
classiques ou non, entendues, cent fois ou moins depuis une trentaine d’années.
Celles croisées sur un contexte il y
a vingt ans, perdues dans l’intervalle immense, mais qui reviennent à la
mémoire dès l’air tombant par hasard sur les ondes.
Tous ces mots, ces centaines de
phrases plantés en tête dont on se souvient bien mieux que les poésies de
La Fontaine
de l’école primaire,
que ces cours, ces lectures obligées, comme si les chansons se réservaient un
endroit précis dans nos esprits, bien à l’abris de l’assaut des âges qui
filent.
Comment est-il possible de faire
revenir tous ces vers à la surface dès la moindre impulsion.
Rien ne se perd.
Au fond. Plongez dedans.