Voyage(s) (3)
Peu après le départ du train qui descendait vers la mer, elle s'est étirée. Délicatement, j'ai vu un bras qui se tendait, un mouvement, un redressement en position assise.
Le haut de sa tête dépassait du siège et je la regardais qui observait sans doute le paysage bien ensoleillé désormais.
Sa chevelure blonde est soignée et libre. J'ai toujours apprécié cette sorte de beauté naturelle sans autre artifice que soi.
Je reprenais l'écriture avec mon carnet à petits carreaux.
La situation avait peut-être quelque chose d'incongru. Que pouvait bien noter un homme visiblement installé dans sa trentaine au milieu d'un TGV la veille de Noël.
Au moment où elle s'est retournée, comme instinctivement comme on se retourne vers quelqu'un qu'elle se sentait l'épier ou plutôt la contempler, j'ai relevé la tête de la feuille et nous nous sommes souri.
Un sourire plus que de complaisance, un regard qui se tourne une fois et qui revient.
Mon activité, semble t-il littéraire pour employer un terme emphatique dans la situation, a pu la déconcerter ou attirer sa curiosité.
Des secondes ont paru des minutes et des minutes ont semblé des heures.
Mon stylo noire restait bloqué à ces quelques phrases quand elle s'est levée.
Elle avait un visage doux et un sourire à damner un ange. Avec sa dizaine d'années de moins que moi, elle portait en elle la beauté des vingt ans affirmés. La jeune fille devenait femme.
Elle a passé les deux rangées qui nous séparait et s'est présentée devant moi pour me demander si elle pouvait s'asseoir sur le siège voisin.
Je bafouillais sans doute un 'oui', ou un 'je vous en prie' qui voulait dire bien sûr. Je rougissais comme un ballon de fête foraine écarlate prêt à éclater.
Elle me demandait ce qui méritait d'être couché ainsi sur papier pendant ce voyage.
J'énonçais des termes comme atmosphère, observation, temps réservé aux beautés qui s'offraient à mes yeux, calme, bien-être
Elle entretenait la conversation autour de son étonnement face à mes motivations et mon regard étrange sur le monde qui m'entourait. Elle me disait que c'était rare de prendre le temps du temps.
Elle m'assurait que j'en étais presque bizarre ou anachronique.
Je prenais cela comme un compliment et tentais de la faire parler d'elle.
Elle m'impressionnait. Je devais paraître ridicule.
Ma naïveté avait totalement occulté ou presque les raisons qui l'avait amené à mes côtés alors que Nîmes approchait et que je devinais que c'était sa destination.
Pendant que j'étais perdu à mes pensées vers la gare de Montpellier qui m'attendait, je songeais en parallèle à un baiser dans la galerie du premier étage de l'amphithéâtre romain nîmois.
Le soleil serait bas mais la douce chaleur hivernale des rayons nous emporterait du pont du Gard au socle brandissant la croix du Lanquedoc.
En fait, alors que le train ralentissait pour se poser dans la gare du Gard, elle s'est levée de son siège, a pris son bagage à mains. Un regard circulaire a parcouru le wagon sans même m'effleurer.
Ses longs cheveux blonds couraient sur son pull sombre comme elle courait vers un autre baiser. Sans doute.
Je ne sais même pas si elle m'avait vu scribouiller dans mon coin. Sans doute que non.
Dans une demi-heure, j'arriverai à Montpellier où j'attendrai la correspondance vers mon amour.