Soeur Cocotte, ne vois-tu rien venir ?
J’ai une sœur.
Bon, jusqu’ici, tout va bien. Une grande plus petite
que moi, ça arrive aussi.
Il y a bigres années, je l’appelais Cocotte ou Ma vieille.
Ce n’était qu’une demie erreur car elle était
effectivement plus âgée que moi mais, moins ressemblante à un gallinacé.
Ma chère sœur
adorée que j’aime tant.
Nous nous affublions de ces termes élogieux quand
nos parents étaient là, alors que nous nous traitions de noms d’oiseaux
exotiques en leurs absences.
Elle a eu 40 ans hier.
A chaque année qui passe, je la sais devancer de 14
jours avant ma propre présentation devant l’horloge annuelle.
Et je la sais me devancer de toute façon de ces 6
années qui auront fait de nous, un frère et une sœur un peu trop éloignés.
Alors il y a eu la fête surprise de ce samedi soir
qui me fait dire que je ne suis plus fait pour ces soirées qui dépassent 23h00.
Alors je sais que je ne m’assiérai plus à côté de Didinne, son amie d’enfance qui m’a
vrillé les oreilles alors que l’entrée n’était pas achevée.
Elles se sont connues juste avant mon arrivée, au
siècle dernier.
Elle m’a confirmé que j’étais ce petit frère
pénible qui voulait toujours rentrer dans la chambre et jouer avec elles quand
elles avaient déjà des préoccupations d’adolescentes.
Je me rappelle cette porte qui restait fermée trop
souvent et ma mère qui me conseillait de faire autre chose et surtout d’arrêter
de les embêter. Je traversais alors le couloir et rejoignais la pièce d’en face
pour noyer mon chagrin de chieur abandonné avec mes Legos.
Je ne participais pas à ces drôles de réunions de
filles, à la création du club des 4 avec une formule tirée droit du roman d’Alexandre
Dumas. Je regardais, après la fête, les guirlandes en papier crépon, les
quelques dessins et ballons.
Je n’ai rien su de ses amours de collège ni de
lycée. Tout juste attrapais-je au vol des rires et des histoires.
Elle aura été aussi discrète que moi. Sans doute
notre éducation.
Je n’avais pas le droit d’utiliser la belle
calculette Sharp qui trône encore souvent sur la table de la salle à manger,
quand je vais lui rendre visite quelque fois. Quelques exercices de cours
moyens ont tout de même été réalisés avec l’objet interdit et je la rangeais
rapidement dans le tiroir de son bureau avant que ma soeur ne rentre du lycée.
Il y avait d’ailleurs dans ce bureau clair des
coins secrets et un journal intime que je n’osais profaner qu’à de très courtes
occasions et bien plus tard. Je devais alors être au lycée et ma sœur à l’université.
Un tableau d’une danseuse, un poster de chien et un
autre de cheval.
J’ai des souvenirs bien précis de ma grande sœur sans
pour autant avoir eu l’impression d’avoir eu cette connivence qu’il existe parfois
entres frère et sœur.
Et je fus loin d’être malheureux par rapport à cet
exemple à suivre que je n’aurai pas su imiter jusqu’au bout de son
post-doctorat. Elle fut en quelque sorte un moteur pour ne pas décevoir.
Un fiancé, futur mari, et je n’ai pas su être suffisamment
proche quand elle en aurait eu peut-être besoin. La seule fois.
Je crois qu’elle ne le demandait pas non plus.
Quelques temps plus tard, c’est elle qui me
proposait ces conseils que je refusais aimablement. Nous acceptions
mutuellement que nous ne saurions jamais adopter cette complicité familiale.
Deux enfants plus tard de part et d’autre et nous
nous retrouvons par moment.
Comme les deux adultes que nous sommes devenus
chacun de notre côté.
Nos sales caractères resurgissent au détour d’une
réunion de famille afin qu’on assure à nos parents que rien n’a changé, mais
nous profitons de plus en plus de nos histoires et de nos expériences.
Cocotte a 40 ans.
Elle n’est pas vieille puisqu’il s’agit de ma
prochaine dizaine.
Des rides sont apparues sur son visage mais je ne
vois pas les miennes quand je ferme les yeux. Ou alors, elles accompagnent nos
sourires.
Ma mère craint que nous nous éloignions trop, que
nous ne nous parlions plus.
Je ne sais comment lui dire que les années qui
passent ne nous éloignent pas plus.
Qu’il y a seulement 6 années et que cet écart dure
depuis quatre décennies.