Mémé avait du poil au menton
Les relations périphériques sont comme cela. Nous ne sommes pas
aussi atteints que lorsque le centre névralgique est touché. C’est ainsi et c’est
sans doute l’explication des réflexions qui viennent plus banalement.
C’était déjà bien, avec
toute sa tête, j’aimerai bien qu’il en soit pareil pour moi. 96, presqu’un siècle,
les choses de la vie.
La dame s’en est allée à son heure. Madame Grand-mère du mari
de ma sœur, arrière grand-mère de mon neveu et de ma filleule. La chronologie
généalogique est respectée.
Et après ? Il y a quand même une petite boule au fond de l’estomac
qui me rappelle qu’invariablement, le temps passe et qu’il y a ces moments qu’on
repousse au fond de ses pensées.
Pour le peu que je la croisais quelques fois par an, aux
occasions à fêter, elle m’apparaissait gentille et se souciait de tous les
enfants, avait des mots accueillants. Avec un sourire tendre, je pense qu’elle
piquait un peu les joues quand on lui faisait la bise. Ce sont les gamins qui
le remarquaient avec leur innocence.
Ce matin, je me suis levé
avec le soleil et maintenant mon ciel est tout gris.
Elle a beau courir vers ces douze ans, c’est en ces mots qu’elle
en parlait, assise les yeux dans le vide sur la chaise de la salle à manger de
mes parents. Juste avant, sa détresse, au moment de me dire bonjour, m’a fait
pousser les larmes aux yeux. Je la serrais fort, accusais aussi bien que
possible ses soubresauts tristes, noyé dans mon incapacité à rendre le
réconfort.
Je sais qu’il n’y a pas grand-chose à faire, le temps répare ce
qu’il détruit. Flo l’apprend du haut de sa fin d’enfance. Il n’existe pas d’autres
méthodes d’apprentissage.
Je détourne son attention en espérant attraper ses pensées, je
lui parle de sa soirée au concert, je rigole de sa montre. Elle n’a pas faim, m’avoue
avoir pleurer devant sa copine, n’a plus envie de rien. Elle avait tant
attendue cette journée pour d’autres raisons.
La souffrance des autres êtres chers m’est bien plus
insupportable que la mienne.
Tout ira mieux dans quelques jours, semaines. Tout va tellement
vite dans la vie d’un enfant, il y aura des moments de calme, de retour à une
autre réalité, où l’esprit se perdra et embrumera le regard. Ces moments se
feront de plus en plus espacés et le souvenir se construira.
Mais ne t’inquiètes pas ma Flo, pleure, pense à elle, c’est ainsi le cycle.