Kronique N°42 – L'objectif originel
Ce n’est qu’au pied du mur qu’on voit le mur. Le mur est rempli
de spaghettis n°6 pas assez cuits et de boulettes de bœufs bien dures.
Autant dire que les ritals (c’est
affectif, pour moi qui suis 50% de la botte) ne vont pas se laisser
bouffer facilement.
A l’origine, j’avais fait ce pronostic idiot d’une finale Allemagne – Italie, en posant donc les transalpins comme favoris contre le logique pays organisateur. La France se faisait éliminer comme à son habitude en demi contre l’ogre allemand (j’étais toujours marqué par le double échec de l’autre siècle et d’autres combattants aux mâchoires fragiles et pénalisés par Luis Fernandez).
Mais nous y sommes et nous n’avons pas été battus par l’Italie
depuis 1978. Ce serait ballot de ne pas continuer bien que non illogique en
rapport aux qualités des italiens (sur le terrain, par dans leurs organisations
de matchs truqués).
J’ai entendu dire que la morale du football serait sauvée si
nos tricolores remportent la coupe à la boule en or. Mais vous savez, dans
notre monde, la morale…
Alors il va être question de volonté dans cet ultime match de
ce mondial.
Il y a un pari fou dans l’air et j’espère de tout cœur qu’il
sera réalisé, parce qu’il est méritoire.
La seule réaction de Thuram, gaillard de 34 ans, en larmes à l’aboutissement
du combat portugais mérite une issue heureuse. Faut-il donc avoir cette
trentaine installée pour se permettre ses réflexions humaines sur la base même
du sport.
Il se dit comme ce gosse à qui il ne suffit qu’un ballon pour
être heureux.
J’aime à penser que sous la carapace de formidable défenseur
aguerri aux joutes internationales et au compte en banque rempli des efforts
fournis depuis son adolescence (trop sans doute mais le Monde est comme cela),
il y a ce gamin qui jouait à Meaux pour le plaisir. Thuram sait trop bien que
sa fin sportive est proche pour ne pas en profiter et revenir sur ces années
avec une nostalgie réaliste.
Dans les différentes cours de récréations parcourues, de
l’école primaire au collège (au lycée, nous
dribblions les filles en jupe, j’affichais mon manque de technique, moi qui fut
toujours affecté aux tâches défensives), il fallait confectionner un
gros ballon avec une énorme boulette de papier que couvrions d’une bonne
épaisseur de scotch (durée de vie : dix
minutes avant de recoller le tout).
Il y avait des balles de tennis, de vrais et rares ballons en
cuir d’ours en peluche.
Pendant les cours les plus longs (comprendre
pénibles), je me rappelle de nombreuses parties avec la petite bille des
cartouches à encre. Il suffisait d’ouvrir la cartouche vide, essuyer la bille
et prendre nos crayons comme jambes. Au bout de chaque table, nous faisions
deux buts avec des gommes ou nos bidons de typex et la partie commençait. Les
professeurs devaient s’interroger sur les gesticulations brusques de ces élèves
de fond de classe et sur leurs nombreuses plongées sous les bureaux pour
récupérer les billes.
A l’âge de se réunir les samedis et dimanches matin entre presque grands avec la panoplie du footballeur de week-end, il n’y avait plus que le plaisir de se raconter la semaine passée, refaire les matchs de championnat, et taper dans la balle plus fort et plus précisément que ces potes de dix ans d’avant devenus aujourd’hui ces potes de vingt-cinq ans d’avant. Toujours les mêmes matchs, les mêmes quolibets, mais le jeu simple originel. Ça n’empêchait pas la compétition, bien au contraire. Je savais celui qui tentait le petit pont en repiquant de l’aile vers l’intérieur, je savais celui qui crochetait à droite plus facilement qu’à gauche, je savais celui qui jouait des épaules, ils savaient que je n’hésitais jamais à me racler les cuisses quel que soit l’état du terrain, juste pour faire comprendre que le ballon ne passerait pas.
Et nous savons tous aujourd’hui que, bien que plus lents, nos
esprits jouent comme il y a vingt ans.
L’équipe de France s’accroche à sa tactique défensive et à ses
contres teintés de technique zidanienne, elle n’a pas le plus beau football de
ce Mondial mais elle a le plus beau destin entre les pieds.
Sous couverts de son n°10 immortel, il s’agit du plus beau
scénario imaginable, cinématographique dirait-on, depuis peut-être Pelé, le
roi.
J’aime désormais à me conforter dans l’idée que la France n’est plus ce pays
du 20ème siècle qui savait perdre avec panache mais cette autre nation
sportive qui gagne avec une classe inimitable ou qui gagne tout court comme
savent le faire Brésil, l’Allemagne, l’Argentine, l’Italie…
Zidane a son portrait du 21ème siècle, la France pourrait aussi avoir
une image redorée.
Le sport, c’est si peu et tant aussi.