Les temps modernes
Un jour, j’ai eu ce besoin
de mettre à plat, de noter, pour ne pas oublier, peut-être ne pas perdre le
fil. Alors j’ai écrit, balbutié des mots, émerveillé certains souvenirs. Il
parait que pour être capable de vivre, l’esprit élimine ou atténue les mauvaises
histoires de nos vies. Sinon, il faut imaginer qu’il persisterait une
souffrance invivable. Cela ne doit pas fonctionner pour tous. Lorsque je pense à
mes avants, j’ai des regrets mais tant de sourires qui viennent. Parce que je
crois avoir fait le tri, inconsciemment. Il me reste des évènements tristes,
quelque uns, une poignée d’évidents puis les autres dont le degré de gravité de
l’instant s’est totalement dissous.
Et il y a tous les autres,
souvenirs épatants, enjolivés par le récit. De la banalité à paillettes. Qui
font mon aujourd’hui. J’aimerais pouvoir refaire certaines choses mais, de
fait, leurs réalisations différentes feraient de moi un différent aussi.
Je revois des photos.
Lorsque j’écrivais – je ne pense
plus écrire désormais- c’était un trop plein à évacuer, un sentiment d’inaccompli,
de pas très bien. C’était voilà longtemps l’adolescence et obligatoirement ses
excès de sensations. L’entrée dans l’adulte, un célibat trainant. Les premiers
qui disparaissent. Ensuite, le passage à la trentaine, l’idée que mes plus
intenses aventures étaient derrière moi une fois que les enfants étaient nés.
Ah cette première moitié de trentaine, étrange, véritable deuil de l’adolescence,
j’ai trainé pour ça, je ne comprenais pas tout.
Et puis la deuxième moitié
de la trentaine m’a entrainé loin. J’avais accepté, enfin, consciemment. J’avais
beaucoup écrit pour en arriver là, j’avais encore des idées dans la tête, si
différentes d’aujourd’hui. Me voilà plus calme, plus apaisé en fait. Sans préjugé
du demain, de l’heure qui suit, j’ai passé un cap à trente-cinq ans. Et si,
plutôt qu’un retard, c’était une avance sur la quarantaine.
Aujourd’hui, il y a moins d’envies
de raconter. En fait, il ne s’agit pas d’envies. Le vrai mot est besoin. J’ai
donc moins ce besoin d’écrire. Toujours l’envie, c’est amusant. Mais le moteur
de la nécessité n’est plus. Pour le moment, sans doute.
Et si, ce qu’on lit aussi, que le malheur, le mal-être est la véritable source de l’écriture, si c’était vrai, cela m’a traversé l’esprit. Je ne suis pas pressé, je veux bien lâcher le clavier. Encore plus.