Web (2)
Afin de vous préserver psychologiquement, un inconnu vous offre aujourd'hui un papillon.
Chapitre 2
Dévaster une belle région bucolique sur les bords
de la Mayenne à deux pas d’Ambrières les Vallées, c’est bien joli mais le web
n’a pas qu’une utilité publique, il se veut, il s’annonce, il se hurle, il se
défend être un week-end avant tout sportif.
Mais je vous vois tous, là, devant vos écrans, moue
dubitative évidente (non, ce n’est pas un gros mot), vous grattant la tête ou
tout autre partie que la décence m’empêche de décrire pour le moment, en vous
interrogeant, en suspectant que mes propos soient exagérés.
Que nenni, vous dirai-je alors.
Le web est un évènement sportif de haut niveau car
il est d’usage que nous passions plus de temps sur un terrain de football
(dimensions 90 à
120 m de long pour 45 à 90 m
de large, mais de toute façon, c’est bien trop grand pour nous) que devant un
godet dont il ne faut pas abuser du contenu car, dangereux pour la santé.
Il faut savoir que le football, pour les
protagonistes de cette réunion amicale, est le ciment qui leur a permis, de se
tenir assurément par les coudes, comme un mur de défense sur un coup franc face
aux agressions de la vie.
(Je note la rhétorique, ce n’est pas tous les jours
que je métaphore de cette façon.)
Il faut imaginer que les dissensions qui pouvaient
exister entre nous, supporters d’équipes différentes, n’ont pas entamées le
plaisir de se retrouver. Peut-être que les tacles sont un peu plus appuyés
lorsque quelques vannes fusent, mais, dans l’ensemble, c’est un respect mutuel
qui unit les aficionados de Nantes, de l’OM et du PSG.
(Et ce n’est pas peu dire).
L’origine des ébats
Il y a bien longtemps, quand nos fonds de culottes
usaient les bancs de l’école, que nos fronts graciles portaient la marque d’une
adolescence difficile, que les filles constituaient notre principal sujet de
conversation, que notre image de la liberté se limitait à pouvoir sortir plus
tard que 19 heures (« parce qu’après, c’est l’heure du dîner et que c’est
pas un hôtel ici ! » disaient nos parents aimants et attentifs), que
nous pensions tout savoir, et que véritablement, ; nous trouvions anormal
que Madame Jacubowitz mange des œufs durs pendant le contrôle d’anglais ;
à cette époque bénie, nous étions effrayés par la sortie du lycée et par la
monde qui s’ouvrait devant nous.
Nous devinions que nos petites différences d’âge,
que nos voies qui se traçaient aléatoirement allaient nous éloigner indubitablement
(toujours pas de gros mots ici).
Je crois qu’il s’agissait d’une décision prise
initialement à deux entre Yolo et votre serviteur. Peut-être en terminale.
Sorte de pacte sacré, de sang, gravé sur nos avant
bras à coup de pointe compas comme un tatouage qui se voulait être ce Post-it,
ce nœud dans le mouchoir qu’on ne pourrait oublier.
Les cicatrices nous rappellent quotidiennement les
promesses à tenir pour nous diriger dans une franche camaraderie vers un
univers meilleur [1].
Il est question dans cet accord de se retrouver quoiqu’il
arrive et aussi longtemps que nous le pourrions une fois par semaine sur un
carré de pelouse à taper bêtement dans un ballon, à rigoler comme des baleines
et, de ne pas se lâcher quand cela serait plus difficile, de se donner
rendez-vous sous un chêne, comme les glands que nous étions.
Le web a donc été instauré, annuellement, afin de s’assurer
que nos préoccupations quotidiennes s’obligent à la pause, le temps d’un
week-end de retrouvailles.
Et comme souvent, l’ambiance hormonale masculine
tend à concrétiser un week-end unisexué en salmigondi de représentations humaines
assez navrantes.
D’où, l’appellation justifiée : beauf.
[1] Le coup de la pointe de compas, c’est une
connerie, hein. C’est pour la formulation, juste ça.