Le jour qui commence en fanfare
C’est à l’aube des langueurs monotones de l’automne qui
s’installe, c’est à l’aurore des nuées brumeuses qui envahissent la campagne à
l’orée des grandes villes, que je fis une constatation toute relative en
rapport des choses graves qui peuplent nos vies.
Je montais dans ma petite citadine (ma voiture, ne nous
méprenons pas) alors que le thermomètre indiquait, sans nul doute permis, d’un
2° clignotant le QI d’un électeur du Front National, que j’y songeais encore.
Il n’y avait qu’une poignée de minutes remplies de secondes affriolantes qui me séparait désormais d’une fermeture de porte qui résonnait de babillements enfantins me souhaitant en écho à mes souhaits : une bonne journée et à ce soir.
Pour un peu, j’avais eu le droit paternel de réclamer de nouveaux
bisous qui ne manquaient pas de m’envoyer illico presto dans la salle de bain
pour me nettoyer les joues de traces de chocolat évidentes et dégoulinantes,
bien que moins compromettantes que celles d’un rouge à lèvre carmin.
Je partais heureux avec l’idée déjà envahissante que flûte
vivement bientôt ce soir que je retrouve toute la famille.
Mais avant.
Il y avait eu le réveil aisé du fils qui descendait l’escalier
sans coup de mauvaise humeur férir et à moitié à poil dans la froideur d’une
maison encore somnolente (pour preuve, le chien avait encore son œil lourd de
paupière et les poissons gisaient dans l’aquarium comme sur un étal de port
breton).
S'en était suivi, avec une habitude soutenue les petits
déjeuner, le rasage (du père), le brossage de dents et l’habillage enchemisé.
Il restait la cadette qui, fière de sa sieste refusée de la
veille et de son entêtement régulier à se relever le soir pour courir les
étoiles, était encore d’un apathique endormissement.
Avachie dans les bras d’une mère aimante, elle se laissa guider
dans les miens sans savoir que je profitais goulûment d’un câlin volé par une
petite tête lovée dans mon cou parfumé par un déodorant Axe Superfresh qui les
fait toutes tomber.
Je déposais délicatement l’enfant sur le rehausseur de la
chaise de la cuisine en la questionnant bien trop brutalement à son goût sur le
menu qui lui ferait plaisir à cette heure inouïe d’une journée qui s’annonce
longue.
Je déballais donc les propositions pour ma cliente préférée à coup de fruits, de viennoiseries et autres aliments qui devait la renforcer pour subir les assauts du froid et de la cour de récréation remuante.
Rien ne fit, elle conservait cet air grognant avec cette lèvre
inférieure relevée comme un bouledogue. Je voyais dans sa tête baissée le refus
à toute participation gustative.
Elle n’avait pas encore prononcé un mot alors que l’horloge
avançait dangereusement vers le stress d’un départ en retard pour la mère de
mes enfants qui les emmène chez la nourrice.
Je changeais de technique pour tenter d’attirer son attention.
J’étais d’humeur cordiale, il fallait que je profite de moi-même.
« Bé alors, si tu ne veux pas de banane, je sais ce que tu
vas manger. Tu vas manger la table. Voilà. Ou alors le dessous de plat, ça doit
être bon le dessous de plat ?
Ou si tu veux, je te prépare le pull de maman qui traîne avec
du Nutella. Ça te dit un bon pull avec du Nutella ? »
Elle émit enfin un rire éclatant qui me confirma que la
direction était la bonne. Je continuais avec le torchon, le bonzaï et carrément
le placard.
Elle relevait la tête, je vis le sourire, je sus que l’affaire
était presque gagnée.
C’est alors que l’insensé se produisit, elle se recacha dans
ses mains.
Plein d’inventivité et d’un dérangement soudain, j’émis un pet
sonore qui se devait de la divertir.
Effectivement, elle rigola (les enfants sont comme ça).
Elle me regarda et me lança hilare : « Moi
aussi, j’ai pété ».
Je disais que non, c’était papa.
N’avais-je pas dit cela que sa tête rougeoya, qu’elle leva son
fessier en se soulevant par les bras et que je sentais qu’il allait se passer
quelque chose.
D’un énorme Prout qui résonne encore dans ma tête et qui
annonça un rire encore plus considérable , la petite s’éveilla enfin au monde.
Les ressources des enfants sont décidément surprenantes.
C’est ainsi que ma fille, fière, pu prendre son petit déjeuner
avec la certitude qu’une bonne journée commençait.
Bonne journée.
Ben quoi ?