Glo-ba-le
Dans les milieux autorisés des salles de maîtres et des soirées
privées entre fonctionnaires de l’enseignement primaire, le débat fait toujours
rage.
En fait, les instits s’en fichent comme de leur première heure
de colle donnée pendant la récréation (parce que Kevin, il n’avait rien fait
qu’à accrocher les tresses d’Elodie au radiateur).
Parce que les instits font la globale, la syllabique ou un mix
comme bon leur chante en disant bien des choses à leurs ministres qui défilent.
Mais, hier soir, dans un élan aussi étonnant qu’irréaliste, je
me suis dit, plein de courage et d’inconscience : va faire les devoirs
avec ton fiston.
Je prends le cahier de texte en essayant de déchiffrer
l’écriture de mon cépéïste de gamin.
La logique est implacable mais allez relire les instructions de
la maîtresse écrites par un petit gars qui justement apprend à écrire.
Au bout d’un quart d’heure et face aux insistances de la
mémoire de ch’tiot, il fallait lire la page 32 de Justine va à l’école et lire la fiche du U.
Nous démarrons la lecture de la page 32.
Le premier mot est samedi.
Il reconnaît sa. S
(prononcez Se) et a, ça fait sa.
Je lui rappelle le me
et la lettre d lui dit quelque chose.
Je sens confusément que je me suis embarqué dans une voie à l’issue improbable.
A chaque mot, je le vois gesticuler sur la chaise, la tête en l’air,
l’esprit plus occupé à se rappeler quelle était la phrase plutôt que de déchiffrer
les mots.
Il fait travailler sa mémoire au lieu de reconnaître les
syllabes. Me voilà confronté à la méthode globale.
Au bout d’un quart d’heure, nous étions toujours à samedi et je m’échinais à lui expliquer
l’association re et i, re et a, re et o, se et a, se et i etc…
Alors ra, ri, ro, ça va mais pas ru.
Il n’a pas encore percuté la logique des associations consonne
/ voyelle. Je me dis qu’il n’a pas forcément une tête pleine d’eau mais que la
méthode globale où il s’agit en fait d’apprendre une phrase et de reconnaître le
cas échéant, des mots dedans et par accident des sons avec des syllabes est très
débile.
J’insiste sur ma méthode syllabique sans trop de succès puisqu’il
me lance des mots au pif qui se cachaient dans sa tête et qu’il avait du
utiliser dans une autre page ou un autre livre.
J’attends avec impatience la mère de mes enfants qui prendra le
relais et m’apprendra comment faire.
En fait, elle a fait comme moi mais en insistant moins. J’imagine
qu’elle sait ce qu’elle fait. Je reconnais la professeur des écoles.
Pendant que je tentais de lui faire comprendre tout ça, je
crois que de vieux souvenirs revenaient à la surface, des livres imagés aux
pages usées, des sons.
Ce n’est pas tant que les gamins n’apprennent pas à lire avec
la globale ou un salmigondis de méthodes mais je trouve inconsciemment plus
logique d’apprendre que re et i fait ri et de le reconnaître dans un mot que de
reconnaître rigolo et trouver à quoi ressemble le son ri.
Je viens de mettre le doigt dans le trou de balle du mammouth
de l’Education Nationale (et le mammouth, ce sont ces grands penseurs qui édictent
des méthodologies sans les appliquer au quotidien).
Mais bon, hein, je ne suis pas un professionnel.